KHARED-ZHAR
Les égouts,
le Sanctuaire
des Enfants de l'Haruspice,
le Sanctuaire de Sélène
Les
portes d'entrée avaient été retirées et l'espace comblé. Il ne restait
là qu'une trappe fort discrète. Un jour peut-être, l'homme construirait
par dessus sans savoir, sans se souvenir. Puisse cependant la mémoire
ne pas lui faire défaut comme aux Nains ! Les lieux étaient toutefois
loin d'être déserts. Ouvrant la trappe, j'aperçus au-dessous un tas de
bûches mal équilibrées : assurément, il ne serait pas possible de remonter
par là mais bien plutôt de se briser une jambe. En bas, je reconnus le
labyrinthe à l'entrée de Khared-Zhar, mais transformé par l'homme depuis
ma visite précédente. On aurait dit davantage des égouts pour la ville,
désormais, selon la coutume humaine d'évacuer les eaux. D'autres créatures
s'en satisfaisaient visiblement : chauves-souris, rats bruns, verts-de-vase
m'accueillirent avec leurs cris usuels. Quelques murs avaient été percés,
semble-t-il. Afin d'assurer ma tranquillité, je lançai un sort d'invisibilité.
Si les Nains s'y connaissaient en architecture, l'Homme s'y connaît lorsqu'il
s'agit de se perdre et de perdre les siens : je me retrouvai dans un cul-de-sac
avec pour seule consolation un coffre fermé. Ne perdant pas de temps à
chercher une clef de fer, je repris mes recherches, en évitant les branches
qui moisissaient à certaines extrémités des couloirs. Un portail enfin.
Curieux portail en vérité. J'en examinai le mécanisme. Les Enfants de
l'Haruspice avaient manifestement des ressources inattendues, car il s'agissait
d'un portail qui fonctionnait selon une volonté établie combinée à une
évaluation de la foi. Décelant l'existence d'une telle serrure magique,
j'en conclus que seuls quelques Enfants de l'Haruspice bien placés pouvaient
activer et désactiver le portail.
Un bruit de pas vint par l'Est, je reculai dans l'ombre du couloir Sud,
écrasant dans ma précipitation un rat querelleur, dont le piaillement
fut vite étouffé par ma botte. Une femme se dirigeait droit vers le portail,
manifestement activé, si bien que j'emboîtai le pas à la femme au moment
où elle disparut dans la lumière du cadre. Mon sort d'invisibilité fut
décidément une idée heureuse, car je débouchai au milieu d'une grande
salle faiblement éclairée par des feux au sol. Marchant rapidement vers
le mur Ouest sans me préoccuper des objets encombrant mon chemin, je parvins
à la Salle du Jugement. Un homme livide s'y tenait assis sur un tabouret,
face à cinq ombres alignées et menaçantes. Un sablier bruyant rompait
le silence et égrenait les minutes -les minutes restant à vivre pour l'accusé.
Celui-ci était placé face à un miroir dont le reflet montrait sa peur,
l'angoissant davantage encore. L'une des ombres se leva et vint vers moi.
En réalité, elle poursuivit sans me remarquer jusqu'à la Salle des Potions,
où, repoussant les potions de soins légers, elle sélectionna un élixir
de pureté et une fiole noire dont je ne pus déduire le contenu -sans doute
un poison, en tous cas aussitôt administré au récent condamné qui hurlait
son désespoir.
Dans la procession qui s'ouvrit, je découvris la grande salle où j'étais
arrivé : c'était la Salle des Tortures. Un grand pentacle de feu et de
crânes de démons luisait en s'étalant au centre. Les divers procédés classiques
furent appliqués à l'homme, sous l'œil vigilant de quelques enfants, assis
sur des tonneaux plus loin et balançant leurs jambes de contentement.
L'homme ne fut pas achevé, car ce qu'il en restait devait être apporté
à la Salle du Bûcher. Le bois sec était prêt. Le feu couvait. Il n'attendait
qu'à être attisé. Une rangée d'urnes funéraires montrait, le long de la
paroi voisine, le sort réservé aux traîtres. L'une d'entre elles était
posée près du bûcher, sans doute en vue d'une utilisation prochaine. Un
détail curieux me frappa : en retrait, vers la Salle du Jugement, se tenait
un jeune enfant, un balai fermement serré dans ses mains. L'homme n'était
pas encore consumé que l'on songeait déjà à nettoyer les restes. Profitant
de ce que tous étaient concentrés sur le feu, je partis à l'opposé.
Voici l'Ecole, où les enfants reçoivent l'instruction de leurs aînés.
Plus loin, la Salle de Vie. Quelques vieillard tendus discutaient, assis
sur leurs chaises, et répartissant le contenu de paniers épars sur le
sol. Un souffle m'appela sur la droite. Par une fissure du mur, j'aperçus
les sous-sols du Temple. Assez large pour que j'y pusse passer, mais trop
incommode pour en revenir, je la laissai là et je repartis sur la gauche.
Dépassant la Salle à Manger où étaient préparés le pain et le repas du
soir, je trébuchai malencontreusement sur du bois mort, et me rattrapai
in extremis au pilier. Quelle surprise ! Ils brûlaient au toucher. Un
profane aurait juré que le démon brûlait à l'intérieur. Par chance, tout
le monde, à part les vieillards, était occupé au bûcher et je pus traverser
la Réserve alimentaire sans encombre, jusqu'à l'extrémité Ouest du Sanctuaire
des Enfants de l'Haruspice. Une nouvelle fissure, faite à dessein apparemment,
laissait filtrer la lueur du soleil couchant. Quittant les lieux, je découvris
que je me trouvais alors à l'Ouest de la montagne de la ville, près du
pont de la rivière.
Il me fallut
donc revenir à la trappe, la nuit tombant tout à fait et ma main me faisant
mal. "La mer est proche", me dis-je. "Les inondations doivent être fréquentes
et les égouts doivent être inaccessibles à ce moment-là, bien que le reste
semble mieux protégé." Plus familier avec le labyrinthe, j'évitai cette
fois-ci les quelques coffres sans intérêt pour me retrouver face à un
mur étrange. A travers une fente, j'entrevis des hommes mal rasés, jouant
avec leur dague en novices. Le mur semblait solide, bien qu'il n'eût suffit
que d'une série de boules de feu pour le faire s'effondrer, j'en suis
certain. Je traversai donc le labyrinthe dans l'autre sens, vers l'ouest,
m'égarant à nouveau comme un cul-de-sac le prouvait. Avec une sensation
de déjà vu, ce cul-de-sac se révéla n'être qu'une voie à moitié comblée
vers les sous-sols du Temple. Grommelant, je rebroussai chemin et parvins
à un second mur étrange, identique au premier, mais que je détruisis sans
perdre de temps, ma patience atteignant sa limite. Comme il fallait s'y
attendre, trois assassins me tombèrent dessus, et je les envoyai ad partes
sans mot dire.
Je remarquai
la lueur provenant de l'escalier. C'était ce qui m'avait attiré vers les
murs étranges. Descendant, je compris qu'il s'agissait de feux de camp.
Une rangée de portes s'alignait devant moi et je les ouvris sans tarder.
En observant les murs, je reconnus l'endroit. Il s'agissait du Sanctuaire
de Sélène datant de l'époque elfique, sur le chemin de la Cité d'Ebène
en quittant Elridanor, et que les Nains avaient conservé, à l'entrée de
l'ancienne province de Khared-Zhar. Khared-Zhar signifie "souterraine"
dans leur langue. Les phases de la Lune constituaient l'unique motif des
fresques. Retirant mon sort d'invisibilité, inutile dans ce lieu sacré
où je savais que je serais bien accueilli, vu que je ressemblais à un
pèlerin simple et sans apprêt, je parcourus à l'aise les diverses salles.
Notant l'importante réserve de bois, je dépassai la Réserve Alimentaire,
et je retrouvai, avec un sourire, la Salle de Vie, soigneusement aménagée.
Je pus constater les modifications humaines qui y avaient été ajoutées.
Ainsi, par un mécanisme astucieux, un pan de mur s'ouvrait et se refermait
automatiquement derrière soi, dévoilant une volée de marches : un passage
vers une étagère d'une des maisons de la ville. Mais cela ne m'intéressait
pas et je continuai, par delà le Dépôt des Samaritains, longeant l'escalier
Est, jusqu'au Puits Sacré. Me penchant sur cette fontaine divine, je retrouvai
comme attendu le croissant de Lune, signe de Sélène, qui s'y reflétait
par une ouverture au plafond, remontant au travers d'un mur des égouts
jusqu'à la surface. Grâce à l'eau, je soignai enfin la légère brûlure
de ma main.
A quelques
pas de là, j'entendais une femme qui expliquait comment crocheter portes
et coffrets verrouillés. M'approchant d'une porte entrebaîllée, je compris
que c'était là l'Ecole des Sélénites. Une grande fissure lézardait le
mur en face. Je ne sais pourquoi je me dis alors que les liens avec les
sous-sols du Temple étaient bien fréquents. Refermant la porte, je fus
attiré par le fumet d'un poulet : la Cuisine était proche, ainsi que la
Salle à Manger où quelques enfants jouaient autour du feu. Notant avec
intérêt la présence d'un éboulis, je poussai les gravats de mon bâton.
Je ne pus retenir un sourire en coin : il y avait quelque chose, par là,
qu'on voulait empêcher de monter. J'avais mon idée sur la question et
je me rendis donc au centre du Sanctuaire de Sélène, à la Salle de Réunion.
Des tabourets étaient rangés en cercle, et, dans un coin, je constatai
avec amusement la présence d'un tabouret isolé, sans doute pour un éventuel
enfant puni. Mon attention se focalisa sur un nouvel éboulis. Demeurant
pensif quelques instants, je n'eus que cette phrase : "Splendeur et fierté
des Ténèbres, cela ne serait-il pas ta tombe, Zhar-Dhoum ?"